Un jour comme ça

Il y a de ces jours qui te laminent, alors même qu’ils avaient l’air de bien commencer, prometteurs de calme, de repos ou même de rien du tout, mais le rien du tout tu en manques tellement parfois que tu te réjouis de son annonce, des jours mesquins qui arrivent de côté, leur charge explosive bien cachée derrière leurs premières heures ouatées et floues, et qui attendent, tapies dans un recoin de ta vie, le moment idéal pour te sauter à la gueule, te surprendre, t’aplatir, faire s’emballer ton cœur et surtout ta raison, faire s’enfuir vite, oh si vite, la petite paix que tu t’étais donnée dans la chute interminable commencée il y a déjà tant d’années mais dont tu n’aurais jamais pensé qu’elle ne s’arrêterait jamais, parce que tout gouffre a un fond, toute chute a une fin, mais non, c’est ce que tu croyais, c’est ce qu’on t’a dit souvent depuis mais non, il y a toujours plus bas que le bas, toujours plus noir que le noir, il y a les abysses, celles où vivent ces espèces inconnues du monde mais que tu vas apprendre à connaître, à craindre et aussi à respecter, parce que tu comprends qu’il faudra bien que tu t’habitues à les revoir un jour ressurgir dans ta vie sans crier gare, à l’improviste, au beau milieu d’un moment calme ou par hasard dans une tempête, de celles qui t’emportent chaque fois un peu plus au large, et même si tu pensais ne pas savoir nager tu t’étonnes de te retrouver chaque fois à la surface après avoir été ballottée, plongée au fond et ressortie, essorée et bousculée et tordue comme un linge sale, vide de vie et d’énergie mais assez bonne à reprendre ta tâche, celle d’organiser la vie, la tienne et celle autour de toi, au milieu des autres, ceux qui savent, ceux qui se doutent, ceux qui n’ont aucune idée, ceux qui jugent, les incrédules, les naïfs et les donneurs de leçons, tous ceux qui sont chacun une personne de plus à affronter quand il s’agit de tenter d’expliquer pourquoi tu y restes, dans cette vie, comment tu fais pour ne pas t’effondrer, les culpabilisateurs, les tu-devrais, les pourquoi-ne-pas, les yaka-fokon, tous ces gens qui pourtant te sont indispensables chacun à un moment, chacun à leur façon mais tu voudrais juste qu’ils aient la malchance de prendre ta vie une seule fois vingt quatre heures pour que tu n’aies plus à t’arracher la tête et le stylo à tenter de leur expliquer ce qu’elle est, ce qu’elle a été, et ce qu’elle sera.

Et quand dans ces jours-là se pointe une cerise sur la gâteau, un vent contraire de mépris et de de dénigrement, un discours qui s’oppose à tout ce en quoi tu as toujours cru dans ce que tu fais depuis longtemps, ce métier que tu aimes, ces contacts que tu chéris, et cultives, parce que ce sont eux, et parce que c’est toi, quand certains mots obscènes sont dits qui te font tressaillir, et que tu ressors de là avec l’impression d’avoir été écrasée par un rouleau compresseur, que tu te demandes ce que tu fais là, ce que tu vas faire après, que tu te sauves honteuse de ta chorale pour n’avoir pas réussi à chanter, et que seul le clavier t’accueille et reçoit tes mots, quand tu te dis qu’après cela tu ne rêves que de t’enfuir mais que tu ne le pourras jamais, alors tu regardes ce qui te reste : tes enfants, la chair de ta chair et de cet amour explosé en vol, ces petits bouts de ton avenir qui te réconcilient avec un peu de la vie, mais pas toute, parce que tes limites, tu ne les avais jamais testées à ce point mais tu sens que tu les touches du doigt, tu les regardes et tu penses à cette vie, l’autre, que tu aurais pu avoir si, et dont tu n’aurais sans doute pas su la valeur, et que d’autres, les méprisants, les pauvres types, ont le droit de vivre, eux, parce que Life is a bitch et qu’on n’a pas d’autre choix que celui d’accepter.

Que la nuit te soit douce, et que tes jours s’apaisent.

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