Il y a du soleil.
Et des enfants qui rient.
Ils sont tous arrivés, l’un après l’autre, sans s’annoncer bien sûr – elle ne les avait pas invités ; mais ils se sont dit que ce serait bien.
Qu’ils soient là.
Eux aussi.
Qu’elle ne reste pas seule.
On a apporté du vin ; ou des livres. Pour habiller l’attente.
Pas de fleurs – on n’aurait pas osé.
Elle n’avait rien préparé. Elle est allée chercher des verres à la cuisine, et ils se sont installés dehors, sur la terrasse. Elle a disposé des biscuits sur une assiette.
Une autre est arrivée, avec un gâteau, qu’ils ont partagé. Elle n’a pas faim ; elle a quand même bu, et mangé.
On n’a pas trinqué – à quoi ? On n’avait pas envie d’y réfléchir.
Les petits courent partout devant eux, dans l’herbe vert pomme des premiers soleils.
C’est un beau dimanche.
Il le lui a dit hier : « Ce sera un beau dimanche ».
Un bébé gazouille dans les bras de l’amie ; puis rit aux éclats. Elle rit aussi. On la regarde. On lui sourit.
On est gêné.
Voilà d’autres cousins, qu’elle avait oubliés. « On passait, on s’est dit… ». Il aura fallu tout ça pour les revoir.
Elle fait bonne figure : des bras, à nouveau, l’enserrent et elle s’y noie. Certains gestes ne se refusent pas.
Lui aussi l’a serrée dans ses bras avant de partir ce matin : « À ce soir… »
L’oncle médecin étale sa science ; la belle-sœur propose la recette de son gâteau. Des amitiés se renouent – on n’avait pas été réuni ainsi depuis si longtemps !
Les enfants sont montés dans les chambres ; tous collés les uns aux autres devant le même écran, ils fuient la chaleur qui s’invite au-dehors.
Elle ferme les yeux un instant, tend son visage aux rayons qui la réchauffent ; elle a si froid.
« Ça va ? » On s’inquiète, on s’enquiert : a-t-elle besoin d’autre chose ? Elle rouvre les yeux et rassure ; et sourit.
Elle a toujours bien su sourire. Elle comprend qu’elle va beaucoup sourire les prochains jours – surtout pour rassurer tous ceux qui.
Ne sauront comment.
N’y arriveront pas.
Difficile à vivre seule.
Difficile à partager.
Les heures à venir vont lui peser des tonnes. Alors elle se lève, et va, virevolte entre les chaises semées sur les dalles, s’assure : chacun a de quoi boire ; se rassure : ils vont partir en se disant « On a bien fait de venir ».
On rentrera chez soi, rassuré, un peu fier, d’avoir pu, d’avoir su.
Être là.
Au moment où.
Enfin, juste après.
Elle se le rappellera.
L’après-midi s’étale, languide, hésitant à s’achever. Ses pensées sont embrumées – trop de vin, peut-être. Ou bien la fatigue.
D’avoir trop pleuré.
Et pourtant.
Qu’ils sont doux ces moments. Comme elle les chérit tous d’avoir compris, d’avoir pensé, d’avoir décidé de détourner leur route du week-end ou annulé la sortie prévue, pour être là, avec elle.
Elle n’en veut pas aux amis motards. Le leur a dit : « Merci d’être là aussi ».
Juste là.
À attendre.
Le moment où.
Ou peut-être pas.
La sonnerie du téléphone transperce le voile.
On s’agite. Elle se fige.
Quelqu’un court décrocher. Revient, lui tend le combiné :
« C’est l’hôpital »
Elle s’assied ; puis écoute.
Respire.
Puis entend :
« Votre mari est sorti du coma, Madame. Il voudrait vous parler. »
Et la voix envahit ses tympans et son cœur.