Jour de marché

Elle a sorti son panier de la remise, le petit, celui aux anses bleues ; elle n’aura pas besoin de plus.

Elle a mis son manteau, ajusté un foulard sur ses cheveux.

Elle a appelé l’enfant, qui s’est interrompu dans son jeu pour accourir :

  – On va où ?

   – On va retrouver Papa.

Le sourire de l’enfant s’est effacé quand il a heurté le visage grave de sa mère.

 Elle est allée chercher le gilet pour l’enfant. Elle le lui a passé.

   – J’ai trop chaud !

Elle n’a pas répondu, alors il s’est tu.

Elle a pris son panier dans une main, a tendu l’autre à l’enfant.

Puis ils sont sortis de la maison.

Ils ont marché le long de la route. Elle a dû ralentir à cause des petites jambes de l’enfant.

  – J’ai chaud, Maman !

  – On arrive bientôt.

En marchant, elle a laissé voler ses pensées. S’est enfin autorisée à penser à Lui, qui les avait laissés. Elle ne Lui en voulait pas. Elle savait pourquoi Il avait fait ça.

Leur amour, leur famille, cela ne comptait pas assez pour qu’Il ne parte pas. La Cause était plus importante. Elle a eu du mal à l’admettre mais maintenant, elle le comprend.

Il lui a manqué, tellement ; mais toujours elle a su qu’elle Le rejoindrait.

La route s’est peu à peu goudronnée en pénétrant dans la ville. Les talus ont fait place aux trottoirs et l’enfant marche mieux ; elle a pressé le pas.

Elle a pensé un instant à ce qu’elle n’avait pas eu le temps de faire : dire au revoir aux voisines, laisser un mot d’explication. Faire un autre enfant – mais non, pas d’un autre que Lui.

Et elle n’aurait pas pu en emmener deux avec elle. C’est déjà assez difficile avec un.

La foule se presse aux abords de la station d’autobus. C’est jour de marché : hommes, femmes et enfants s’agglutinent dans l’espoir de pouvoir monter à bord. Le bus suivant n’arrive que dans une heure.

Un homme s’efface pour la laisser passer. Elle lui sourit, brièvement. L’angoisse la saisit mais elle ne reculera pas. Elle s’approche de la porte du véhicule encadrée par deux hommes en armes.

On le dit partout : la milice est sur les dents, a renforcé sa surveillance, mais elle sait qu’on ne contrôle pas les enfants. Ils ne verront pas que le gilet du petit est anormalement lourd.

On les laissera monter.

Elle est rapidement fouillée ; ils n’ont pas trouvé le détonateur au creux de sa main.

Les portes du bus se ferment. Il est bondé. C’est bien.

Elle attendra qu’il arrive à destination, en plein centre ville.

Elle attendra le moment où la foule se déversera au milieu d’une autre foule, venue à son insu partager le moment qu’elle a préparé depuis de longs mois.

Il ne sentira rien quand la bombe, dans le gilet, explosera. Son petit corps sera pulvérisé en une fraction de seconde, et elle qui lui tiendra la main mourra en même temps que lui.

Elle espère juste avoir le temps, et le courage, de pousser le cri qui signera son acte.

Alors, elle aura enfin mérité d’avoir un jour porté Son nom.

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