Sulak

Je n’ai pas pour habitude de chroniquer mes lectures, préférant laisser ce soin à ceux qui en possèdent le talent, j’ai nommé les « blogueurs littéraires » et les journalistes, que j’estime pour d’autres raisons par ailleurs et auxquels je n’ai l’intention de faire aucune concurrence, loin s’en faut.

Simplement, ce que je viens de lire, en quelques heures, il faut que j’en parle.

Sulak Philippe Jaenada

Le Jaenada nouveau est arrivé, et il va vous décoiffer.

En tous cas, moi, il m’a emportée (je ne pense pas avoir jamais passé plus de 5 heures d’affilée à lire, je sais, certains d’entre vous, si, mais pour moi c’est une première, et elle est remarquable).

De Jaenada, on connaît le goût pour les récits de vies un peu folles qu’il retranscrits, le temps de quelques lignes ou de quelques pages, ici ou là, dans ses romans, parsemés entre deux chapitres de l’intrigue (souvent plus qu’inspirée par sa propre vie) (tel le « génie des cartes » de La Femme et l’Ours, dernier en date et surtout en ma mémoire, mais il y en a beaucoup d’autres) : dans ses livres, la réalité se mêle à la fiction par petites touches, comme si l’auteur, qui semble se livrer à des digressions, entendait en fait rappeler que l’inspiration de l’écrivain réside souvent dans la récupération d’anecdotes authentiques). On connaît aussi son humour, sa distance face aux aléas de la vie (Les Brutes étant pour moi un summum en la matière) et son sens profond de la valeur des choses (malgré son humour associé, Plage de Manaccora, 16h30 en fait la démonstration poignante).

On retrouvera dans Sulak chacun de ces traits d’écriture, mais avec un dosage nouveau : cette fois, c’est la réalité (et non sa vie) qui a servi de base à l’auteur. Ce livre, bien que qualifié de « roman » en couverture, n’est en rien différent d’une biographie. À cela près qu’on y découvre quelques autres biographies, beaucoup plus sommaires, celles des personnages qui auront croisé la vie de Bruno Sulak, « malfaiteur » (auquel le terme semble étrangement difficile à associer après cette lecture) dont l’auteur a retracé la vie et le destin hors du commun grâce, précisément, avec l’aide de ces « seconds rôles », dont il a rencontré certains, presque trente ans après. Çà ou là, l’auteur ne résiste pas à la tentation de nous glisser quelques repères personnels (mais n’est-on pas souvent tenté, en apprenant tel ou tel fait marquant, de se dire « Mais où étais-je que faisais-je à ce moment-là ? ») et il faut reconnaître que la proximité géographique, à plusieurs reprises, et quelque chose dans la philosophie de l’existence (pour autant que ce que j’ai lu de Jaenada (c’est-à-dire tout) soit un reflet fidèle de sa façon de voir les choses (ce que j’ai tendance à croire)), semblaient tendre à rassembler un jour l’écrivain et son personnage. C’est chose faite avec ce livre.

J’ai été désarçonnée, je l’avoue, par les premiers chapitres, par ce ton quasi-journalistique utilisé pour mettre en place les protagonistes, puis rassurée par l’apparition des premières doubles parenthèses : ouf, c’est bien du Jaenada (même s’il n’en abusera pas) !… du Jaenada, mais un Jaenada nouveau, que j’ai été ravie de découvrir ici, inhabituellement sérieux, précis, mais humain avant tout, se gardant de tout jugement sur celui dont il a fait le héros de son livre, mais qu’il ne cherche jamais à faire passer pour un héros tout court – juste pour un de ces (trop) nombreux idéalistes que la société pousse à ce qu’on appelle des crimes (ceux commis contre l’argent, comme le rappelle Sulak, semblant plus graves que ceux perpétrés contre des vies). On y croisera, parce que les tics d’écriture ne s’abandonnent pas comme ça, une hôtesse de l’air championne de chute libre, Jimmy Carter aux prises avec un lapin bizarre, Enrico Macias, Chagall, Joëlle d’Il était une fois, ou encore Alain Delon (quoique pour lui, l’association à des noms de truands notoires soit moins inattendu), et on aimera les (trop rares ?) évasions (c’est le terme qui m’est venu, sans doute bienvenu en l’occurrence) imaginées par l’auteur sous forme d’articles de journaux imaginaires, qui inventent de possibles échappatoires à son destin malheureux pour Bruno Sulak, à la manière des « Et si… » qui mettraient Paris en bouteille (et qu’a utilisé un autre écrivain pour réinventer un destin tout autre à Adolf H…).

Le parallèle avec un autre braqueur célèbre, Mesrine, ne sera qu’évoqué (et matérialisé lors de la rencontre entre la fille de l’un et la femme de l’autre), et le parallèle entre ces deux vies s’arrêtera là. Gentleman cambrioleur, le terme s’appliqua bien mieux à Sulak qu’à son ainé, dont la violence ne l’inspira jamais.

 

J’ai refermé ce livre avec émotion, tout comme j’imagine que Philippe a dit au revoir à tous ces témoins qu’il a sollicités, émotion que l’on pourrait comparer à celle de tout écrivain qui rencontrerait en chair et en os les héros de son livre. Belle aventure, j’imagine, que celle de l’écriture de ce « roman » qui n’en est pas un – mais le talent ne réside-t-il pas dans le fait de savoir trouver, aussi, de beaux sujets ? Celui de Sulak en est un. Touchant, vibrant, humain.

Voyou rebelle(illust.©missticinparis.com)

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