Balade hors-saison(s)

Comme sa mère et sa grand-mère l’avaient été avant elle, Eugénie était marchande des quatre saisons. Ce qu’on ne lui avait jamais dit, c’est qu’elle était la dernière et qu’au moment de prendre sa retraite, elle s’apprêterait, de ce fait, à bouleverser le monde – elle qui avait pris soin toute sa vie de traverser celle des autres le plus discrètement possible, pour ne pas déranger. Elle ne se faisait guère d’illusions quant à sa disparition des trottoirs de la rue du Faubourg-Saint-Antoine où elle avait passé plus de cinquante ans : la réhabilitation du quartier et les programmes immobiliers noieraient bientôt son décor dans un autre, bétonné et sans âme, et plus personne ne serait là pour la regretter ; cette perspective l’encouragea à chercher au plus vite un repreneur pour sa marchandise.

Elle plia bagage un soir, rabattant les auvents de sa carriole et prenant la direction de la Bastille, attelage cahotant sur les pavés dans l’indifférence générale. Il était près de vingt heures quand elle atteignit l’Hôtel Drouot, à bout de souffle, et parvint à entrer sans être vue. Elle avait souvent, enfant, parcouru les couloirs moquettés et les salles lambrissées de l’Hôtel des Ventes, sa petite main dans celle de son père, à l’époque où celui-ci venait y rêver d’une fortune qu’il n’aurait jamais mais qu’il ne lui était pas interdit d’imaginer ; ces promenades dominicales gratuites et magnifiques parmi les bijoux, les faïences et les tableaux n’avaient jamais quitté sa mémoire et c’est avec un pincement au cœur qu’Eugénie se dirigea tout droit vers le bureau des experts, au fond d’un couloir velouté de brun.

… la suite… à venir 😉 !

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