Ecume amère…

On a tous son roman fétiche ; celui que l’ado qu’on a été a dévoré, que le jeune adulte qu’on est devenu a relu, lui trouvant des saveurs nouvelles, et que l’on aura (et ce, avant le 3ème âge, merci) relu une ou deux fois de plus, pour le plaisir, au moment où on l’aura ressorti de sa bibliothèque pour le prêter, exigeant certificat de prêt et garanties de retour, à l’ado nouveau qui se sera présenté à vous avec une question comme « T’aurais pas un truc cool à lire ? »

Pour moi, supplantant Barjavel que j’avais adoré à quinze ans (avant de le relire à trente et de me dire que j’avais sans doute été victime de mon enthousiasme de jeune lectrice et de mon manque de discernement, alors normal, en littérature), ce fut L’Écume des Jours, de Boris Vian… La passion de Colin et Chloé, les murs qui rétrécissent, le suicide de la souris, l’aveuglement de Chick, et ce monde si fou, si libre, et si tragique à la fois, m’ont immédiatement embarquée, et irrémédiablement conquise, au point que, quarante ans plus tard, je trouve toujours autant de magie dans ce roman, et qu’il m’ait, sans doute, inspirée pour certains, voire la plupart, de mes écrits… (*)

C’est donc avec impatience que j’attendais la sortie du film de Michel Gondry.

Sans titre

Las… J’en reviens, et je suis comme la critique… mi-figue mi-raisin.
Beaucoup de spectateurs ont apprécié la première partie et son foisonnement de trouvailles ; pour ma part j’ai vite été assommée par cette accumulation un peu forcée d’effets spéciaux, certains un peu « bricolo » (volontairement sans doute, mais cela m’a gênée) ; trop d’effets tue l’effet, et au bout de quelque 30 minutes le rythme endiablé des « trucs » lasse, et même, sature. On a compris que le monde de L’Écume était un monde à part, c’est bon, passons à l’histoire… Parce que l’histoire, c’est quand même ça qui est à la base de ce roman : une belle, et banale, histoire d’amour, et de mort. Un gros cliché mais replacé dans un espace-temps (décalages et anachronismes se surajoutent aux effets visuels) à part, dans un monde déshumanisé (la scène de la patinoire en est un des premiers signes (allusion morbide aux pelleteuses des camps de concentration ? cette scène m’a glacée)) où l’amour qui fleurit (terme parfaitement adapté en l’occurrence) est condamné dès sa naissance à une mort lente par asphyxie.
La critique sociologique est là aussi, pointant du doigt, toujours, la déshumanisation du monde, avec ces foules fanatiques écrasées par les forces de l’ordre, ces hommes utilisés comme engrais humain ou ces usines de travail à la chaîne dans lesquelles l’homme n’est que le maillon d’une chaîne purement mécanique, facilement remplacé.
Ces thèmes sont ceux portés par l’œuvre que Gondry a tenté de représenter : mais était-ce finalement une bonne idée que ce passage de l’écrit à l’image, du suggéré au figuré ? Pour moi qui ai adoré ce roman, c’est une déception, un peu comme si, pour me faire plaisir, un ami peintre du dimanche et pauvre en couleurs avait tenté de me fabriquer une copie ratée d’un tableau sublime.
A propos de couleurs, il faut tout de même souligner le très beau travail du directeur photo (à supposer que ce soit le sien) qui a peu à peu, au fur et à mesure de l’avancée du film et de la maladie de Chloé, et parfaitement, su exprimer l’extinction de la vie et la spirale mortifère qui frappe les héros, avec ce passage progressif des couleurs éclatantes au noir et blanc, de la luminosité la plus vive (et même fatigante) à la pénombre. Les scènes finales sont fortes, avec le désespoir de Colin et la violence qu’il doit affronter, au moment de l’enterrement de Chloé, de la part des employés sommés de se montrer le plus ignobles possible envers ce client qui n’a pas pu payer le prix d’une cérémonie correcte. Là encore, moment fort du roman que j’ai retrouvé, en l’occurrence, assez bien filmé. J’ai regretté l’absence de la scène finale du roman, remplacée dans le film par un plan bizarre mêlant Colin et différents éléments du film que l’on retrouve, baignant dans une eau sombre… J’avais pensé retrouver la souris (personnage à part entière du film, figurant un peu étrange mais auquel on s’attache finalement) à laquelle Vian avait offert la dernière action – une des plus belles fins de roman que j’aie lue (avis tout personnel, une fois encore).
Au final, et pour ma part, un début qui a pu séduire (avant de lasser), mais qui, moi, m’a vite assommée, et une fin qui a pu déplaire mais qui, moi, m’a émue.
Je ne regrette pas la séance, mais je crois que mettre des images sur les mots de Boris Vian n’aura jamais pu être que réducteur, CQFD. Regrets…

(*) Lili et L’accord parfait, par exemple, sont deux nouvelles que j’ai écrites avec L’Écume en tête – inspiration indirecte bien sûr, mais atmosphère prégnante et, pour moi, inspirante…
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