Adiós José…

Il y a un an, à un jour près, j’écrivais une histoire – vraie, pour changer – parce qu’elle m’avait tellement émue que je ne pouvais pas la garder pour moi. Elle figure toujours sur mon ancien blog mais je la reprends ici :

Il a 92 ans, elle, 89. Ils sont mariés depuis 70 ans.

Depuis quelques années, elle ne va plus trop bien – perd un peu la tête ; un peu, beaucoup, au point qu’il ne peut plus la laisser seule. Alors, il a arrêté d’aller voir ses copains, ceux qui restaient, d’aller marcher dans la campagne, ou dans la ville, peu lui importait, c’était juste histoire de se sentir un peu lui-même, et pas seulement le seul encore capable de s’occuper d’elle.

Il a pris rendez-vous pour elle. J’arrive tôt – un peu plus tôt que d’habitude. 7h25, « elle n’est pas levée, je vais la chercher » me dit-il, et je l’entends lui parler, doucement : « Maman ! La dame est là, lève-toi ! ». « Je vous verse votre café ? » me propose-t-il, de retour dans la cuisine, puis il regarde sa montre et me glisse « Il est 7h30… il faut que j’appelle ma copine, vous ne m’en voulez pas… » Intriguée, j’assiste à son appel téléphonique – il s’est à peine éloigné d’un mètre : « Oui… c’est moi… Oui, ça va, et toi ? Je ne peux pas parler longtemps, je dois y aller… oui, moi aussi… moi aussi. » – et il termine, avant de raccrocher, par un bisou sur le combiné…

Il se tourne alors vers moi, hausse les épaules et me glisse d’un air à la fois amusé, complice et résigné : « Eh oui… Ca fait 40 ans… »

En quelques mots il m’apprend qu’elle vit tout près, mais qu’elle ne peut plus marcher et que lui, de toute façon, s’occupe de sa femme… « Mais il faut aimer ce qui nous reste !  » ajoute-t-il…

Je ne saurais même pas vous expliquer pourquoi j’ai eu envie, en m’en allant, de le serrer dans mes bras…

Merci J. pour ces si jolies minutes d’émotion

Du temps a passé et ma relation avec José s’est transformée en une belle amitié… Son regard rieur, son optimisme, son amour de la vie telle qu’elle est et pas autrement ont vite forcé mon respect et balayé les limites des relations patient-soignant. Il y a deux ou trois mois, il m’a confié le récit de sa vie, qu’il venait d’achever de taper à l’ordinateur – j’y ai découvert, avec émotion, l’expérience d’une vie de labeur, mais de courage aussi et toujours en filigrane ce goût du bonheur qui me « recontaminait » à chacune de mes visites. Sortir de chez lui sans le sourire aux lèvres était impossible, quelque soit mon état en y entrant.

Depuis peu, il me montrait des photos d’Odette, l’ amour de sa vie. Et les SMS échangés toute la journée entre eux deux… « Tu n’imagines pas comme c’est beau, l’amour, même quand on ne peut plus rien faire qu’être assis à côté l’un de l’autre », me disait-il… Je l’imaginais facilement, quand il me le racontait : je n’avais qu’à lire la flamme dans ses yeux – cette flamme, elle, avait toujours vingt ans.

La dernière fois que je l’ai vu, il m’a dit qu’il avait composé un poème pour moi ; un poème en espagnol, qu’il tenait à me traduire avant de me le donner, mais qu’il m’a récité, et à ce moment-là j’ai vraiment regretté d’avoir fait Allemand 2eme langue… Il y était question de soleil et d’amitié…

J’ai appris ce matin que José était mort à l’hôpital il y a trois jours.

Je n’aurai pas mon poème. Et comme il va me manquer…

Adiós, José…

Sans titre

 

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